La mesure du monde : pilote de travail aérien

Nous sommes maintenant à vingt minutes du premier axe. Je préviens Entebbe par radio que nous débutons ta descente vers une hauteur de 300 mètres au-dessus du sol, que nous perdrons probablement le contact radio, enfin que nous les rappellerons dans cinq heures lorsque nous reprendrons de l'altitude. Il s'agit maintenant de ne pas tout gâcher, de nous frayer un chemin en évitant tous ces cumulus bourgeonnant au-dessus de la jungle ougandaise.

Je suis très sensible, pour l'avoir vécu souvent, à ce moment où la physionomie de l'environnement aérien change du tout au tout. En altitude, on flotte dans une clarté bleutée et un calme reposant. Dès que l'on quitte ce monde, en revanche, dès lors que l'on achève de se faufiler en descente, dévalant trois mille mètres le long de ces nuages qui paraissaient si innocents et qui sont en fait des montagnes, on entre dans un tout autre ciel.

Inconsciemment je courbe l'échine en glissant l'avion sous la base des cumulus. Je pousse alors la porte d'un monde plus secret, plus ténébreux, celui des petits avions besogneux dont le monde ignore l'existence.